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Mise en liquidation d'Air Méditerranée, quelles conséquences sur le marché?

  • Maître Rafik Rabia
  • 4 mars 2016
  • 5 min de lecture


Quand le consommateur se dit Roi, les opérateurs lui rappellent sa qualité de sujet. La pression concurrentielle est le principal moteur d’un marché. Une suppression, absorption, ou la prise de participation dans une entreprise représente, outre les effets coordonnés, le premier effet restrictif unilatéral sur le marché. La mise en liquidation judiciaire de la compagnie Air Méditerranée peut être lourde de conséquences sur le marché du transport aérien notamment pour la liaison Alger-Paris. Les plus rationnels d’entre nous pourraient penser à une disparition basée sur le principe d’une concurrence par le mérite. Selon ce postulat, un opérateur moins efficient devrait logiquement quitter le marché sans avoir d’incidences significatives sur la concurrence. Or, l’efficience n’est pas une fin en soi, c’est ce qui pourrait uniquement justifier l’écart entre une fin et les moyens utilisés pour l’atteindre. Sans vouloir nous attarder sur un volet technique, nous essayerons d’imaginer par une démarche prospective, voire spéculative l’état du marché après cette disparition.


Pour analyser ses effets, une définition du marché en cause est primordiale. A notre sens, la liaison Alger-Paris peut être donc considérée comme un marché à part entière vu le nombre de voyageurs et la non substituabilité des aéroports parisiens. Quatre opérateurs se partagent ce marché ; Air Algérie, Aigle azur, Air méditerranée et Air France. Sur le niveau de substituabilité, les deux premiers peuvent être considérées comme proposant des produits homogènes, en l’occurrence, un transport d’un point A à un point B, la même durée de vol, la même franchise bagage et avec un nombre de dessertes quasi égal à un prix étrangement proche. Tandis que Air France, tout en proposant les mêmes services avec certaines restrictions de bagages, ses offres sont rarement substituables au niveau prix.


Air méditerranée quant à elle était dans un marché, certes reliant Alger- Paris, mais avec une fréquence peu en prou égale aux autres. Elle assurait en effet des vols hebdomadaires sur des journées fixes, un service différent (absence de repas inclus dans le prix, dépôt au milieu de pistes). Elle présentait cependant une alternative au consommateur avec une tarification agressive en contrepartie de certains désagréments. La première question à se poser pour la définition du marché est de savoir si le consommateur perçoit leurs produits de la même manière.


Les voyageurs peuvent donc être classés selon leurs besoins ; Ceux qui voyagent avec bagage, avec moins d’exigences de bagage, voire sans bagage et les voyageurs plus ou moins flexibles. Cet article ne se base pas sur des statistiques établies mais, en posant simplement la question aux voyageurs, on s’aperçoit que la majorité d’entre eux, notamment ceux qui achètent en ligne consultent d’abord le site d’Air méditerranée censée être moins chère avant de se détourner le cas échant vers les autres, notamment en raison d’horaires non adaptées et moins flexibles. Dès lors, toutes les données laissent penser à l’existence de deux marchés distincts avec un niveau de chevauchement plus au moins grand, en l’occurrence le marché de vols dit normaux et un marché Low-Cost. Ces derniers peuvent aussi être définis en fonction de la régularité des vols donc celui des vols réguliers et un marché de vols hebdomadaires. Ce qui est sûr, c’est qu’un marché entier disparaît avec la liquidation de la compagnie Air méditerranée. Les voyageurs avec moins d’exigence de confort ou flexibles se voient dès lors contraints de choisir entre les deux entreprises dominantes.


Air Méditerranée était certes sur un marché différent connexe, pour autant, le chevauchement existant entre les deux marchés pose la problématique de sa définition. Cette dernière se base également sur la possibilité de se faire concurrence abstraction faite du niveau de substituabilité (le niveau de similarité des produits du point de vue du consommateur). On parle dès lors d’interchangeabilité où des produits, même sans être substituables, peuvent être interchangeables par la seule prise en compte du critère de l’usage. Il est évident qu’Air méditerranée, nonobstant toutes les restrictions existant dans leur formule voyage a pu « arracher » un nombre important de voyageurs aux deux principales compagnies de la liaison, ce qui nous laisse déduire non seulement sa position de concurrent direct, mais aussi sa qualité de Franc-Tireur (un petit opérateur avec une politique concurrentielle agressive). Par conséquent, on ne peut se baser uniquement sur la substituabilité pour dégager un marché de référence d’autant plus que, dans le cas où le duopole ne représente pas le principal concurrent, on pourrait légitimement penser que ses membres ne récupéreront pas les clients (pour ne pas dire parts de marché) de la compagnie Air Méditerranée. Or, en l’absence d’un concurrent direct de cette dernière sur le marché low cost, les voyageurs n’ont de solution que de se détourner vers Aigle azur, Air Algérie et dans un moindre degré, Air France.


Cette disparition renforcera davantage la position dominante de Aigle azur- Air Algérie en influençant durablement sur la structure du marché, et par ricochet, une influence unilatérale et durable sur le prix. Dès lors, en présence de barrières légales à l’entrée, il faut s’attendre à une augmentation significative du prix due aux pratiques du duopole non collusoire. Tel serait le cas lorsque, compte tenu des caractéristique même du ce marché, prenant conscience de leurs intérêts communs, chaque membre du duopole dominant considérerait possible, économiquement rationnel et donc préférable d’adopter durablement une même ligne d’action dans le but de vendre au-dessus des prix concurrentiels, sans devoir procéder à la conclusion d’un accord ou à recourir à une pratique concertée, et ce, sans que les concurrents actuels ou potentiels, ou encore les clients et consommateurs puissent réagir de manière effective. Cela s’explique par le renforcement de la concentration du marché –concentration de la production sur un nombre limité d’opérateurs- qui donne plus de pouvoir de marché à Air Algérie et Aigle Azur sans être individuellement en position dominante. Par conséquent, cette absence de pression concurrentielle conduira naturellement à des prix excessifs et des à choix par défaut.


Pour illustrer la spécificité du marché du transport aérien, un exemple type de ce genre d’effet a été constaté par la Commission européenne. En effet cette dernière a eu l’occasion d’examiner le projet de concentration entre Ryanair et Aer Lingus qui représentaient les principaux opérateurs actifs depuis l’aéroport de Dublin vers certaines villes du sud de l’Angleterre. La Commission, soutenue par la Cour de justice de l’Union européenne a estimé qu’une concentration entre les deux principales rivales fait disparaitre la pression concurrentielle existante avant l’opération.


Outre les conséquences sur l’emploi des deux côtés de la méditerranée, cette malencontreuse disparition se répercutera naturellement sur le consommateur et compliquera davantage la situation des algériens de France, notamment en période estivale, où la restriction « voulue » de l’offre par ses barrières légales à l’entrée -qui sera naturellement en déséquilibre avec une demande en constante augmentation- va in fine détruire la petite ébauche d’espoir de voyager à moindre coût à l’image de ce qui se fait chez nos voisins marocains et tunisiens. Au demeurant, le voyageur algérien ne connaitra que cette longue saison de vaches maigres qui perdurera encore, et s’éternisera davantage à défaut d’une ouverture effective du marché.

 
 
 

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