Et si on combattait la hausse des prix par le droit de la concurrence?
- Maître Rafik Rabia, publié par El Watan
- 15 févr. 2016
- 5 min de lecture

L'ignorance d'une règle de droit est si dangereuse qu'elle devient inefficace. Adam Smith nous apprenait dès lors à consommer mieux et moins cher en écrivant que «ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais plutôt du soin qu'ils apportent dans la recherche de leur propre intérêt. Nous ne nous en remettons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme». La loi de finances 2016 aussi incongrue que discutable a fini par porter un coup dur à la bourse du contribuable. Ses effets se font désormais sentir à plus d'un égard. Cependant, doit-on subir sans réagir ? Légalistes que nous sommes, une hausse législative des prix doit éveiller en nous l'envie de traiter le droit par le droit.
L'ouverture du marché algérien à une économie de marché après des années de dirigisme économique a naturellement fait disparaître, outre pour les produits de première nécessité, toute réglementation sur les prix. Ce principe consacré par la Constitution de 1996 avait d'ores et déjà réduit le rôle de l'Etat au rang de simple régulateur.Pour autant, les prix ne sont pas totalement libres, et leurs variations ne dépendent pas uniquement de l'offre et la demande. Par l'ordonnance 03-03 du 19 juillet 2003, l'Etat a encadré les comportements des entreprises sur le marché de façon à ce qu'elles ne portent pas atteinte au bien-être du consommateur. Force est de constater qu'une réglementation aussi protectrice n'a aucun effet pratique, non pas en raison de son inefficacité, mais plutôt par la non-invocation des moyens tirés de ses dispositions. Ce principe est d'autant plus invocable que la nouvelle révision constitutionnelle relève la protection du consommateur au rang de principe constitutionnel.
Des pratiques concertées aussi bien horizontales que verticales sont hélas devenues monnaie courante. Les ententes sur le prix, sur la baisse de volume de production ou d'importation, ou encore sur un partage géographique du marché sont les pratiques les plus répandues en Algérie. Dans un marché concurrentiel, les prix sont tirés vers le bas, et les entreprises cherchent ainsi à se distinguer autre que par le prix, au grand bonheur du consommateur. Or, le marché algérien est caractérisé par un diktat imposé par certaines entreprises qui rend le consommateur dépendant du bon vouloir de ses opérateurs.
Il est communément admis et notoirement connu qu'en Algérie, une augmentation des prix suite à la variation du prix de la matière première n'est jamais temporaire. Dès lors, une stratégie collusive entre producteurs ou importateurs ayant pour objet une baisse de volume de production causerait une augmentation durable des prix. Néanmoins, et contrairement à ce qui pourrait être dit a priori, la preuve de son existence n'est pas inatteignable, et sa démonstration repose sur de simples faits connus. Pour les ententes tacites, un simple postulat pourrait mener le tribunal à sanctionner les opérateurs coupables d'acte anticoncurrentiel. En effet, les entreprises d'un même niveau de processus de distribution ne sont pas censées avoir de contact entre elles. Dès lors, une prise de contact suivie d'un parallélisme de comportement pourrait légitimement conduire le juge à apprécier l'existence d'une entente. En outre, certains comportements qui pourraient paraître normaux pour les entreprises lambda peuvent être considérés comme abusifs pour une entreprise en position dominante. Cette dernière est définie comme un pouvoir de marché détenu par une ou plusieurs entreprises sur un marché de produit et dans une zone de chalandise - qui pourrait être le territoire d'une wilaya - permettant à ces dernières d'influencer durablement sur le prix,d'une manière unilatérale,et en dehors toute pression concurrentielle.
A titre d'exemple, le refus de fourniture, les pratiques discriminatoires - qui correspondent généralement à l'offre de prix différents selon la disposition à payer du client ou de l'importance des quantités achetées -, les clauses d'exclusivité, pratique de prix prédateur - vente à perte pour exclure un concurrent -, la manipulation de l'information dans une stratégie d'exclusion ou de barrières à l'entrée, sont toutes aussi interdites pour une entreprise en position dominante. Force est de reconnaître qu'une majorité de producteurs et d'importateurs, notamment de produits de grande consommation, détenant une position dominante accorde l'exclusivité à un ou pour plusieurs distributeurs en toute impunité alors que cette pratique leur est interdite. Ce contrat créera par conséquent une nouvelle position dominante du distributeur qui, en procédant à une distribution sélective et discriminatoire, mènera inéluctablement à une cascade d'intermédiaires et de surcroît à une augmentation des prix.
L'entreprise qui se voit discriminée dans l'approvisionnement, soit par le refus de fourniture ou sur le prix pratiqué, représente le premier maillon d'une chaîne de victimes. Ces comportements abusifs peuvent causer une baisse de son chiffre d'affaires due à la non-compétitivité de ses prix comparés aux concurrents privilégiés par le fournisseur dominant. Cela peut dans le cas extrême, ce qui n'est pas rare en pratique, pousser l'entreprise en question à quitter le marché, laissant le consommateur seul face à la tyrannie des dominants.
En tout état de cause, une entreprise en position dominante ne peut ni refuser de fournir un fournisseur ou un revendeur, ni pratiquer des prix à la tête ou au rabais de fidélité, encore moins de cloisonner le marché par un semblant d'agressivité. Les entreprises ont dès lors tout intérêt à respecter et à faire respecter les règles de concurrence par leurs fournisseurs ou concurrents, non seulement pour le bien du consommateur, mais aussi pour assurer leur propre pérennité. Que faire face à ces pratiques ?
Le Conseil de la concurrence censé être le gendarme économique de l'Etat n'est malheureusement actif que depuis 2013. Le manque de formation suite à la complexité de la matière, d'avocats et experts spécialistes en concurrence, ajouté à l'absence d'information des entreprises et des associations sur leurs droits empêchent l'ouverture de ce graal juridique par le Conseil qui demeure en semi-hibernation.Cependant, l'Etat ne peut pas tout. Le législateur algérien avait d'ores et déjà prévu une voie directe juridictionnelle contre toute pratique anticoncurrentielle.
Le juge est en effet perçu par les opérateurs économiques comme leur pire ennemi, notamment en matière sociale, alors que ce dernier peut être leur meilleur allié face à la tyrannie des dominants et bien d'autres situations. En effet, toute entreprise qui se voit victime d'un acte anticoncurrentiel, soit d'une manière directe comme un refus de fourniture ou de distribution, soit indirecte suite à une clause conventionnelle entre deux opérateurs ayant comme objet de cloisonner le marché, alors même que l'entreprise plaignante ne l'a pas encore intégré, peut recourir au juge judiciaire pour non seulement faire cesser l'acte anticoncurrentiel et la remise du marché à l'état existant avant la restriction, mais aussi demander une réparation des préjudices subis qui pourrait se compter en dizaines de millions de dinars.
Tout ou plus, les associations de protection des consommateurs ont également qualité à agir devant les juridictions et mettre un terme à ces pratiques restrictives portant atteinte au principe, désormais constitutionnel, de la protection du consommateur. Au demeurant, une disposition juridique existante ne saurait être effective sans une mobilisation de la norme par les opérateurs économiques, concurrents directs ou indirects, réels ou potentiels, peu importe que le préjudice soit subi ou éventuel. On l'a bien compris, le droit et l'économie peuvent faire bon ménage. Alors, opérateurs et associations, à vous de jouer !





















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